Un jour : premières impressions lumineuses.
Quelques années plus tard, toujours très jeune, un premier appareil photo, moins bien que celui du papa qui avait une cellule, mais de quoi faire des souvenirs encore bien lisibles quelques dizaines d'années plus tard.
Puis ce fut l'oubli de la photographie pendant l'adolescence. Un petit pocket à l'aune de mes 18 ans me rappela que j'aimais (ou bien me disait que j'allais aimer) l'envie d'explorer ce que je ne reverrai autrement que par le souvenir, en rapporter à soi d'abord, une invention, un regard qui pourrait jusqu'à faire oublier l'origine du rebond de la lumière.
Un premier travail alimentaire, et quelques moyens substantiels plus loin, l'envie d'un ami de se désaisir d'un appareil reflex, et qui me le prête pour que je l'emporte pendant mes vacances et que je l'essaie. Au retour il est à moi. J'ai tout photographié en mode automatique, c'était du luxe de pouvoir le faire, et une inconnaissance complète du principe photographique de ne pas s'y dérober.
Ses photographies sont toujours d'actualité quand je les regarde.
Autre temps : peu après une amie m'offrit mon premier reflex de qualité avec un objectif. J'appris à travailler la photographie en mode manuel. J'avais maintenant deux appareils photographiques. Ce sera important pour ma façon de regarder.
Un jour passant : Place du Châtelet, une affiche qui décore le Théâtre de la Ville attire mon attention. Une danseuse et un danseur, au sol, forment un beau duo, une belle photo. "Dennis Wayne and Dancers" sont peut-être à l'origine de mon engouement pour la photographie de danse.
Car, je vais voir le spectacle, et innocent (à l'époque cela était possible) à la fin de la représentation je demande à une ouvreuse à rencontrer le chorégraphe. Cela ne l'étonne pas et elle me conduit gentiment à un homme qui écoute ma demande, acquiesce et m'invite à le suivre. J'emprunte alors son pas qui me guida dans ce méandre d'escaliers et de couloirs étroits jusqu'aux loges des artistes, Tout en haut du théâtre, il frappa à une porte. Une jeune femme brune l'ouvrit. C'était elle qui dansait le duo avec Dennis Wayne qui est en train, maintenant, de se démaquiller. Elle aussi est à moitié apprêtée, mais elle a cessé son action pour nous accueillir. La jeune femme parle français. C'est parfait pour moi. L'homme, Monsieur Robert Doizon, à qui je dois, peut-être non seulement ma découverte de la danse, et de la danse contemporaine, mais aussi celle de la photographie telle que j'aime la voir et l'aborder, nous laisse. J'explique à la jeune femme que je souhaiterais faire des photos pendant les répétitions. Elle se tourne vers le chorégraphe, lui traduit mon intention, et Dennis Wayne, j'en ai encore de l'émotion, me regarde et d'un mouvement de tête de droite à gauche, et de gauche à droite, comme pour dire non, me dit " It's OK , it's OK !". Son mouvement de tête signifiait simplement qu'il n'y avait pas de problème, c'était d'accord. Quelle joie.
Je revins régulièrement plusieurs fois dans la semaine faire des photos sous la Coupole, et puis un jour, en partant, le chorégraphe m'interpella " He photograph ! lundi conference de press". C'était une séance pour les photographes. Sur ma première feuille qui contient ces négatifs, j'ai écrit alors : "Conférence de presse".
Comme les spectacles et les marquages, les filages s'enchaînaient au fil des compagnies, j'eus la possibilité d'assister tout simplement aux répétitions de "La Jeune Fille et la Mort" chorégraphie de Maguy Marin et Daniel Ambash.
Et je rencontrai Régis Obadia en ce lieu. Danseur chez Maguy Marin, préparant le concours de Nyon avec sa compagne Joëlle Bouvier, cherchant un photographe pour répondre au besoin en photos des organisateurs Suisses, il me demanda si je voudrais bien faire des photographies pour eux. Comme ce jeune danseur (je l'étais aussi, nous sommes du même âge je crois) avait quelques difficultés financières, et que je ne pensais pas lui demander de me rémunérer, nous convînmes à un échange. C'est ainsi, qu'un soir, dans un studio de danse, avec un seul projecteur pour tout éclairage, ils dansèrent pour moi le duo "Regard perdu" d'abord en costume de scène, puis nus. Cela leur allait si bien. Les photographies sont magnifiques. ... Un jour certainement.
Ces séances photographiques prenaient beaucoup de temps, et je les accumulais au temps de mon travail nourricier et la fatigue commençait à se faire sentir. Les frais photographiques étaient aussi conséquents et j'avais photographié de quoi faire des tirages pendant plusieurs mois. Si bien qu'une bonne vingtaine de films 36 poses plus tard, soit un mois après, j'arrêtais mes visites régulières au Théâtre de la Ville, où j'avais pu aussi photographier des coulisses, tout simplement, une représentation de "La Jeune Fille et la Mort". Quelle époque où tout cela était possible, et sans susciter pour autant plus de problèmes. Merci encore à Monsieur Doizon pour sa confiance. Quand le site sera plus avancé j'ouvrirai une page avec des photographies de ces moments de 1980.
Le temps des Radios Libres me fit oublier la photographie, mais me confirma que j'aimais la radio, L'Oreille en Coin, Claude Dominique et Kriss Graffiti. J'ai rencontré Kriss "Sur un air de Poissons Volants", partagé certains de ses moments de radio, découvert qu'une personne qui a du talent mais qui ne se met pas chaque jour à la tache, ne crée pas, se reposant uniquement sur un savoir-faire un peu naturel.
Kriss était tout le contraire, et se demandait fréquemment, avec souci et pertinence, si le mot choisi était bien le bon, le juste, si le ton, le son, traduiraient bien cette émotion qu'elle voulait nous offrir. J'ai découvert auprès d'elle la rigueur du travail qu'elle pouvait produire, et c'était vraiment une découverte de voir quelqu'un avec autant de talent, de savoir-faire, de facilité, se servir de toutes ces compétences, se compliquer l'instant, pour aller plus profond, plus fort, s'interroger sur la portée d'une phrase, son importance, son chant propre parmi les autres. Une découverte et une leçon.
Pourquoi vous parlerai-je de radio ?
Parce que Kriss apprit que Jacques Pradel allait avoir en charge une émission de deux heures tous les soirs "Adrénaline" et qu'il cherchait des pigistes qui pourraient lui apporter les sujets quotidiens. Je le rencontrai donc. Je fis des reportages, Et un jour je croisais le chemin d'une danseuse, que je revis et à qui je montrai mon travail photographique sur Dennis Wayne et les danseurs de Maguy Marin en répétition. Elle était intéressée et me demanda si je faisais encore de la photographie. Non, bien loin de moi, mais cette attention qu'elle avait manifestée à mon travail était le premier retour que j'avais de ces prises de vues. Je lui expliquai que je m'intéressai à ce qui pouvait être un peu hors du commun (c'était le principe d'Adrénaline) et elle me parla d'une jeune femme qui pratiquait une activité relevant du butoh "Body Weather" ou la "Météorologie du Corps", un enseignement que Katy Roulaud, la jeune femme en question, avait vécue auprès de Min Tanaka. Je la rencontrai. J'avais remis sans le savoir un pied dans la danse.
La liberté des radios libres s'étiolait, Adrénaline allait cesser, j'avais un emploi à mi-temps qui me permettait d'avoir du temps et début mars 1985 je reprenais le chemin de la scène, et découvrais celui des théâtres, avec la Biennale de Danse du Val de Marne. Les beaux jours de la Danse Contemporaine sans le savoir non plus.
1992/93 la Danse Contemporaine est devenue une institution. Des Centres Chorégraphiques Nationaux sont créés, les jeunes chorégraphes ont peu vieilli mais sont devenus entités importantes. Il me semblait que la danse se stabilisait, se régularisait, que le feu d'artifice était donné et que la Fête gourmande touchait à sa fin. Moins de vigilance peut-être, donc moins de découvertes. Et j'ai quitté la danse.
Internet a ceci de bien, c'est que de fil en aiguille, de pages en pages, on se perd un peu, ou une information nous retient, et l'on échappe à son sujet pour faire d'autres belles découvertes.
Et ces derniers temps j'ai eu l'envie de revenir à la photographie, et la photographie de danse. Et je sais pourquoi.
Je vous l'avais bien dit : un petit curriculum très Vitae.
Je vous remercie, vous qui avez lu jusqu'à cette ligne, d'avoir pris le temps d'un peu mieux me connaître.
Et maintenant, le Bal nous attend. Bon pas, bon oeil. Et nous serons en bonnes Compagnies.
Je vous l'avais bien dit. Et bien à Vous.
Hubert Didona